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Francisca

Tout a commencé à l’heure de mon aventure à Majorque.
J’étais une étrangère sur l’île. Cependant, je me sentais si bien que j’avais l’impression de recouvrir une part oubliée de moi-même. Comme l’autre pièce
d’un puzzle.
Lorsque je me suis rendue au marché du village, un dimanche matin, des femmes m’ont interpellée. Elles étaient vêtues de noir. Des mantilles couvraient leurs
cheveux. Elles parlaient « balearic », le dialecte des îles Baléares et je ne comprenais pas un mot de leurs dires. Un ami était présent.

– Elles racontent que tu es de l’île. Qu’elles t’ont reconnue. Elles t’appellent « la morena », « la brune ».

– De l’île ?

J’étais surprise et incrédule. Néanmoins, j’ai laissé les femmes s’approcher de moi. Elles m’ont encerclée un instant, le temps que je finisse mes courses. Enfin, je suis repartie.
Quelques semaines plus tard, j’apprends qu’une de mes ancêtres est originaire de l’archipel. Non pas de l’île de Majorque, mais de la petite Minorque. Je n’y suis jamais allée. Je commence à rêver de voyager sur cette petite île. Malheureusement lorsque je regarde les prix des logements, c’est inimaginable de mettre un pied là-bas.
Francisca Garnès était la mère de mon arrière grand-mère.
C’était il y a fort longtemps, dans les années 1800. Je me suis renseignée sur cette période et j’ai découvert, qu’à l’époque, Minorque traversait une terrible famine, à laquelle s’ajoutait une sécheresse qui tuait le bétail. Des militaires français souhaitaient conquérir les contrées algériennes, ils avaient envahis l’île. Minorque était devenue leur base militaire.
A ce moment-là, beaucoup de minorcains partirent vers l’Algérie pour survivre. Ils montaient sur une balancelle, bénie par un prêtre avant le départ et peut-être arriveraient-ils à naviguer jusqu’à la rive algérienne. J’ai également appris qu’ils emportaient une pierre de leur maison avec eux pour leur porter chance.
Francisca Garnès touche l’autre rive. Là-bas, elle rencontre un catalan de Sardaigne qu’elle épouse. Elle accouche d’une fille du nom de Carlotta. Carlotta enfante Marius qui épouse une certaine Louise. Louise donne naissance à Françoise, ma mère. Voilà que la guerre éclate en Algérie. Ma mère me fait
naître à paris. J’oublie leur histoire. Je ne la connais pas. Jusqu’au jour où les majorquines reconnaissent les traits d’une illiène sur mon visage.
Neuf ans plus tard, je trouve sur internet une petite structure culturelle du nom d’Es Far Cultural qui accepte de m’accueillir pour un mois.
Avec les vêtements de Tata Christiane, je pars dans la région d’Es Mercadal, située au centre de l’île. C’est la partie la plus agricole de Minorque. Pas de hasard, car mon ancêtre cultivait elle aussi les champs. C’est tout ce que je sais d’elle, quatre générations après.
Je prends des photographies de ce voyage.
J’essaye de toucher la dimension physique de l’image.
Photographier non pas ce que je vois mais le contact même avec la lumière de ces nouvelles coordonnées géographiques.
Je joue avec l’aspect fragmentaire des vêtements. Petits morceaux d’une chose qui a été brisée, déchirée, comme mes origines.
Je les porte lors de mes cérémonies de retrouvailles avec l’île et avec l’âme de Francisca.
La cape devient mon armure de chevalier.
Tout cela me guide vers la création d’un roman photo, relatant l’histoire d’une femme imaginée. Le récit photographique est maintenant en cours de production.

Remerciements :

Tata Christiane / Es Far Culturel / Arxiu d’imatge i So de Menorca-CIM

Archive : Antoni Roca Vàrez / Arxiu d’imatge i So de Menorca-CIM