Les Oiseaux

C’ est en revoyant un extrait du film Les Oiseaux d’Alfred Hitchcock que l’idée de cette nouvelle série m’ est venue. Dans cette séquence, les oiseaux attaquent la ville, et des jeunes filles jouant à colin-maillard fuient sous leur menace.
J’entretiens alors un rapport à l’image de l’ordre de l’obsession, et du tourment. D’une part l’image photographique a été un instrument de libération pour moi puisqu’elle m’a permis de créer un travail ; et de l’autre, elle me fait horreur. Cette ambiguïté que je porte à l’égard des images m’a amenée à focaliser plus précisément sur le trouble identitaire, le féminin comme angoisse, que je résume aujourd’hui dans un concept de «jeune fille -projection» :
La représentation féminine dans la photographie, le cinéma, et les médias, le rapport désirant- désiré, l’idée d’une féminité capturée par l’image sont des sujets centraux qui me préoccupent chaque jour.
C’est ainsi que j’ai, dans l’ensemble de mon travail, mis en place des questions autour de ce que j’appelle « la jeune fille-projection » : figure devenue pure marchandise- consommée, reproduite, imitée, qui capte toutes les attentions.
Du sacrifice d’Iphigénie au mythe Faustien, de Psychose d’Hitchcock aux images pornographiques, la représentation de la jeune fille est toujours liée à la mort. La « jeune fille-projection » devient tour à tour image mentale, image objet, violée,
sacrifiée, capturée. La «jeune fille-projection» est prise dans le flux schizophrénique du monde, mais elle reste pourtant l’un des motifs qui résistent au flux, un mythe en elle-même.
Image d’une enfance perdue, d’un commencement impossible, comme la « femme-oiseau », enfermée dans sa cage chez Henrik Ibsen, ou Lola Montes que Max Ophuls exhibe dans un cirque, comme les prostituées hollandaises dans leurs vitrines, ces jeunes filles sont enfermées à tous les sens du terme, de manière symbolique et physique.
Il y a aussi la sensation d’une évocation stéréotypée de petite fille, comme compulsion de répétition, stéréotype, l’image, et l’angoisse que ces images du féminin suscitent, éveillent.
Cette angoisse est liée à la question de la perversion dans l’image photographique, dans le rapport du photographe à son modèle, mais aussi dans le regard que le spectateur lui porte.
Il s’agit de mettre en place un dispositif qui joue sur la présence et la disparition.
Les jeunes filles dans une attitude neutre, inexpressive, comme des fantômes, se soustraient ainsi au regard du spectateur par leur regard masqué, jouant ainsi sur l’opposition présence, absence, le proche et le lointain, ailleurs et autrefois, ici et maintenant. A travers ce jeu photographique, le regard des jeunes filles, s’il leur est ôté c’est qu’il devient le lieu de tous les possibles, d’un avenir, d’une promesse. Ainsi, c’est au cœur de cette géométrie que j’espère leur redonner un regard en inversant le rapport du sujet et de l’objet.
Si les oiseaux les menaçaient, elles deviennent à leur tour ces oiseaux menaçants

Photographies argentiques 40 x 50 cm sur papier rare ultra-brillant, tirage traditionnel argentique sous agrandisseur

From Iphigenia’s sacrifice to the Faustian myth, from Hitchcock’s Psycho to the pornographic pictures, maiden’s representation is always related to death.  » The projection-maiden » alternately a mental picture, an object-picture, raped, sacrificed, captured. Captured in the schizophrenic flow of the world, « the projection-maiden » stays one of the figures resisting to this flow, a myth by herself. Just as the Louise Bourgeois’s house-woman, picture of a lost childhood, of an impossible beginning, just as the Ibsen’s bird-woman enclosed in her cage, or Lola Montes that Max Ophuls shows in a circus, just as the prostitutes in Holland in their shop-windows, these maidens are absolutely enclosed. In my project, they escape from the public’s eye, protected by their masks, playing with the contrast betweenpresence/absence, close to us and at the same time far away as ghosts, somewhere else and now, here and in the past. I’d like to give them a new way of look. Throught this photographic game, the maiden’s look becomes the territory of all kinds of possible, of the future, of a promise. If they were threatened by birds, they are now themselves threatening.

2012